Le Havre et son port – un aperçu de l’histoire, des défis, enjeux et dilemmes d’une ville en mutation

Une ville est d’abord le fruit de la géographie et de l’histoire.  Aucune ville n’illustre mieux cette évidence que la ville du Havre. Ce fut une excellente raison pour que l’ARSEPL fasse le choix du Havre pour y tenir son assemblée générale 2024 sur la proposition avisée de Bernard Pailhès, qui connait parfaitement bien pour y avoir travaillé longtemps ; En témoigne le programme riche et varié qu’il avait préparé à l’occasion de cette AG 2025, programme qui a commencé par une conférence de Thierry Lochard, urbaniste à l’AURH-Agence d’Urbanisme de la Région du Havre.

L’article qui suit restitue cette conférence qui a constitué une parfaite introduction à la découverte de la ville pendant les 2 jours qui ont suivi l’AG. Que l’AURH et Thierry Lochard soient ici remerciés pour leur contribution à la réussite de la cuvée 2024 des visites organisées par l’ARSEPL à l’occasion de son AG annuelle.

 

Une brève histoire du temps… et de la géographie du Havre et de son port

Le Havre, c’est d’abord un port ; rien de plus évident, car l’histoire du havre a commencé par la création du port en 1517, par décision de François 1er, encore auréolé de sa victoire à la bataille de Marignan. Le port d’Harfleur, créé par les vikings était envasé ; le port de Honfleur desservait la rive sud de la Seine, mais la navigation pour l’atteindre était dangereuse pour les navires de grande taille, du fait des marées et des bancs de sable. Il fallait un port à l’embouchure de la Seine, desservant la rive nord. Ce qui fut fait, malgré un contexte géotechnique difficile, les terrains alluvionnaires et la proximité de la nappe compliquant fortement les travaux de fondation des ouvrages portuaires et les premiers développements urbains.

Ce qui n’a pas empêché la ville et son port de se développer jusqu’à nos jours, malgré les destructions massives consécutives à la seconde guerre mondiale,  pour constituer une agglomération de 266 000 habitants regroupant 54 communes autour de son port, aujourd’hui intégré dans HAROPA, fusion des 3 ports du Havre, de Rouen et de Paris et premier ensemble portuaire français.

La présence du port a constitué un levier essentiel de développement économique, attirant en particulier des établissements industriels de première importance, tels qu’une usine de fabrication d’éoliennes off-shore ou la raffinerie Total de Gonfreville-l’Orcher, qui s’étend sur 360 hectares.  

Dans les années 2000, la volonté de pouvoir accueillir les porte-containers géants et leurs 14 mètres de tirant d’eau a conduit à la décision de créer un nouveau port, Port 2000, dans la continuité du port historique, ce qui a permis de rendre à la nature une grande partie des anciens espaces portuaires, devenus « Espace Nature Protégé », ce qui fait dire aux responsables du port que celui-ci est aujourd’hui confronté au défi de devoir gérer à la fois des containers et des grenouilles.

De fait, Port 2000 reçoit annuellement l’essentiel des 3,1 millions de containers comptabilisés par HAROPA.

Mais la ville du Havre, longtemps réduite à sa vocation industrialo-portuaire ne s’y résume plus, comme on va le voir

Une ville en mutation récente et rapide

Le Havre a de longue date accueilli des touristes, depuis les premières dessertes régulières par bateau à vapeur, mais ces touristes ne restaient guère dans la ville ; la vocation touristique s’est vraiment affirmée lors du classement en juillet 2005 du centre du Havre au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Ce classement a reconnu aux yeux du monde le caractère exceptionnel et la qualité de la reconstruction du centre-ville, bombardé et détruit presqu’entièrement en 1944, et reconstruit en un temps record pour reloger les dizaines de milliers de sinistrés, sous la conduite du grand architecte et urbaniste Auguste Perret.

Ce classement reposait sur une très forte dynamique de projets, impulsée par le maire, Antoine Rufenacht et son adjointe Agathe Caillere, conseillés par l’AURH et son directeur de l’époque, de 2001 à 2015, Dominique Dhervillez.

C’est ainsi que la ville et l’agglomération du Havre ont progressivement muté en élargissant leur identité portuaire et industrielle aux dimensions universitaires, culturelles, tertiaires, et touristique, avec notamment, pour cette dernière dimension, le développement des croisières ( 500 000 croisiéristes prévus en 2028) et du nautisme autour de la transat Jacques Vabre.

Mais une ville confrontée au déclin démographique

Malgré les profondes et positives mutations qu’elle a connues dans les années récentes, la ville du Havre n’a pas réussi à enrayer la perte de population, ininterrompue depuis 1975, avec un taux de vacance dans le centre-ville augmentant de 5,2% en 2007 à 11,2% aujourd’hui.

Plusieurs causes peuvent expliquer ce déclin démographique :

La première cause réside dans le départ des populations vers la périphérie, phénomène constaté partout en France, non compensé par les arrivées faute d’attractivité suffisante et en raison de prix immobiliers élevés, suite au classement UNESCO.

Autre cause, le vieillissement de la population, s’accompagnant d’une diminution du nombre de personnes par logement.

Enfin, le classement UNESCO rend plus difficile et plus coûteux, du fait des obligations de respect du patrimoine qu’il impose, les rénovations des logements, qui souffrent de leur faible qualité thermique et phonique et de l’absence d’ascenseurs, contribuant ainsi à l’augmentation du taux de vacance.

A ces causes, s’ajoutent les difficultés structurelles de la politique du logement en France, qui ne sont pas propres au Havre, mais qui amplifient les freins à la construction de logements neufs.

Les défis de la prévention des risques

La ville et l’agglomération du Havre ont une forte culture des risques industriels, avec 17 établissements classés SEVESO et la présence fréquente de cavités souterraines, dites « marnières ».  

Comme l’expliquera le lendemain le premier adjoint au maire, accueillant les participants ARSEPL à la visite du Havre, cette culture du risque sera précieuse, tant pour accueillir de nouvelles industries, la ville du Havre étant l’une des rares grandes villes françaises « industry friendly », que pour anticiper et faire face aux nouveaux risques induits par le changement climatique : submersion marine, salinisation de la nappe, érosion et recul du trait de côte, inondations, en particulier.  

Le dilemme du changement d’échelle comme stratégie d’avenir

Pour faire face aux grands défis auxquelles elles sont confrontées, la ville et l’agglomération du Havre sont exposées à des choix stratégiques cruciaux qui renvoient à la question de l’échelle du territoire dans lequel ils vont s’inscrire.

Dès 2008, le grand concours d’urbanisme du Grand Paris avait conduit l’équipe Grumbach à formuler le scenario « Paris, ville monde » reposant sur une stratégie globale d’aménagement et de développement de l’axe Seine, de Paris au Havre, reposant sur le constat, que toutes les grandes métropoles mondiales étaient aussi des villes portuaires.

Depuis, cette stratégie a connu un début de concrétisation avec la création d’HAROPA. Et elle se traduit régulièrement par des collaborations, telles que celle des 2 agences d’urbanisme du Havre et de Rouen.

En termes d’infrastructure, cette stratégie sera confortée par la création de la nouvelle ligne ferroviaire Paris Normandie, de Paris au Havre, prévue pour 2040-2045.

Ce changement d’échelle  va-t-il se confirmer et sera-t-il un levier de résolution des défis actuels liés à la démographie et aux risques de toutes natures auxquelles la ville du Havre est confrontée ou bien Le Havre risque-t-elle de perdre son identité et sa dynamique propre dans un processus de métropolisation à grande échelle ? Rendez-vous dans l’avenir pour le savoir.

En attendant merci à l’ARSEPL pour cette visite de 3 jours d’une ville et d’un port riches de leur histoire, aussi récente soit-elle, et du dynamisme impressionnant de leur acteurs, présents et passés, dont Thierry Lochard et les autres intervenants des jours suivants ont si bien su nous donner un vivant aperçu.